Ce que les guerres disent de nous
On ne peut maîtriser que ce que l’on s’efforce de comprendre.
Éloge funèbre de Jean-Luc Mélenchon à François Delapierre
Qu’est-ce que la guerre du Moyen-Orient, et la guerre entre l’Ukraine et la Russie disent de notre camp politique ? Par « notre camp » politique j’entends le spectre qui comprend les nationalistes révolutionnaires en passant par les identitaires jusqu’aux militants du Rassemblement national.
C’est un tweet banal qui m’a poussé à écrire ce texte. Tout part d’une prise de position en faveur des Gazaouis et des Libanais, contre les agissements d’Israël. Une figure bien connue de la sphère « identitaire » réagit en disant que les terroristes palestiniens ont tué des Français, légitimant ainsi la guerre menée. L’auteur du tweet se défendra en évoquant une cohérence nationaliste en faveur de la souveraineté des nations en question.
C’est tout… C’est, banalement tout. C’est horriblement tout. Tout ce à quoi se résume les débats dans nos sphères. J’ai de la peine en disant que la gauche et ses figures ont raison : nous ne réfléchissons à rien ou… à pas grand-chose ?
Soyons clair, ce texte n’a aucunement vocation à imposer tel ou tel camp et pourquoi il faut le supporter, mais il a vocation à montrer tous les angles morts que notre camp refuse de voir.
Structure vs essentialisme
Nous ne politisons rien. Nous ne faisons pas de politique et ne pensons pas en politique. Pourtant les guerres (événements dont aucun mot ne pourra décrire le drame qu’elles sont) peuvent donner énormément à réfléchir sur la nature et l’agissement de l’être humain. Donc qu’est-ce que le politique ? Il ne faut pas aller aussi loin que certains philosophes l’ont fait pour approcher ce qu’est le politique. Il s’agit de l’ensemble des leviers – sociologique, économique, judiciaire, culturel etc. – qui actionnent et structurent l’homme. Ainsi, le monde offre une immensité d’analyse et d’appréhension de l’humanité, et sans doute rend passionnant la politique.
Avoir une analyse structurelle des évènements du monde demande une chose : du temps. On ne peut pas rendre un jugement, ou l’on ne peut le dire pertinent si, auparavant, on ne lit pas, n’écoute pas, ne réfléchit pas, ne cite pas d’auteurs ou ne questionne pas l’objet de notre analyse. L’inverse de cette analyse est l’essentialisme. Il ne s’agit pas uniquement d’essentialiser le sujet mais d’analyser de façon monolithique les acteurs du sujet. Blanc, noir. Bien, pas bien. Un, deux. Touché, coulé. « S’il est musulman, c’est mon ennemi », « S’il se trouve dans le monde occidental, il est d’office mon allié », est-ce que réellement ces exemples relèvent de la caricature ? Le problème de cette façon d’analyser les évènements politiques, c’est qu’il ne relève que de l’instinct, or l’humanité n’a pas atteint son stade d’évolution faisant reposer son raisonnement, et par ricochet ses agissements, sur son instinct. Voire pire !
Laisser la politique au « bien, pas bien », c’est délaisser la désignation de l’ennemi à un autre. On ne peut pas voir un avis sur tout, certaines situations sont hermétiques… Se reposer sur l’essentialisme, c’est prendre le risque de laisser sa souveraineté intellectuelle à un autre.
Les sujets de la guerre
Est-ce cynique de se demander maintenant ce que nous pourrions analyser dans la guerre actuelle ? Certainement, mais il ne faut jamais rechigner à se salir les mains. La propreté des mains, c’est l’apanage des immobiles. Prenons quelques exemples qui sont à mon sens révélateur des manquements du « camp national ».
Le terrorisme. Qui pourrait définir aisément ce qu’est le terrorisme ? Quand et comment peut le désigner de manière scientifique ? Est-ce que dans l’histoire de la France, les « justes » n’ont-ils pas utilisés de méthodes terroristes ? L’exemple est certes cruellement conventionnel mais les résistants français pendant la seconde guerre mondiale n’ont-ils pas usés de méthodes terroristes ? Si nous voulons interroger cette notion de terrorisme, en la décalant du plan institutionnel, est-ce que les révolutionnaires de 1793 ont usé de méthodes terroristes ? Si oui, doit-on rejeter en bloc tous les idéaux qu’ils défendaient par ces méthodes ? Et pourquoi d’autres n’auraient pas le droit d’en user ? Doit-on admettre qu’il s’agit-là d’une parfaite partialité dont nous devons faire preuve pour actionner un levier en notre faveur ?
Dans la même lignée, qu’est-ce qu’une résistance ? Comment doit agir une résistance ? Est-ce qu’une action éthique d’une résistance ne voue à l’échec ses desseins politiques ?
Même du point de vue idéologique, ces guerres remettent en question ce qu’est le nationalisme, ce qu’est l’impérialisme. Dans quelles séquences politico-historiques peut-on parler de nationalisme, ou au contraire doit-on désigner une forme d’impérialisme à l’œuvre ?
Ces définitions peuvent à elles seules remettre en question l’agissement de notre nation dans ces zones de conflit, à travers un soutien ou une désapprobation, en me demandant si mes alliés qui soutiennent tel camp ont les mêmes intérêts que les miens dans leur soutien.
On pourrait être aussi étonné que certaines personnes disant tous les 11 novembre « no more brother wars » ont une mémoire politico-historique à application variable. Évidemment, nous ne sommes pas idiots au point de dire qu’il n’y a pas des intérêts à l’instrumentalisation de la mémoire, mais aucune trace de l’utilisation de la mémoire en politique n’a été aperçue dans les débats autour de ces guerres. Pourtant n’est-ce pas cette même mémoire qui a fait échouer les accords d’Oslo ? Comment est-ce que le peuple israélien va-t-il se souvenir des attaques du 7 octobre ? Comment en France se souvient-on des attaques du 13 novembre ? Quelle différence ? Pourquoi ? Dans quel but ?
Reconnaissons une chose, si ces questions ne sont que trop rarement abordées dans notre camp, c’est aussi car le « camp d’en face » nous en a privé. La gauche a réussi à faire croire à la majorité que lorsque le camp national aborde un sujet géopolitique, il ne sait émettre que des avis apolitiques : « s’il pense cela c’est parce qu’il est antisémite », « s’il dit cela c’est qu’il est raciste ». En revanche il ne faut pas se voiler la face, même si cette instrumentalisation sert leurs desseins, c’est aussi parce que certains prennent un plaisir malsain à se complaire dans les accusations de la gauche. Est-ce utile de dire que par mesure sanitaire il faut rejeter en bloc ces épouvantails de notre camp ?
Une question de fin
Il y a mille et une questions à se poser à travers ces guerres. Et l’on pourrait même se questionner sur l’intérêt de se les poser. Pour cela je reprendrais la verve boulbesque : « Je ne veux pas de ton poisson, je veux que je tu m’apprennes à pêcher ». Réfléchir en politique, c’est se donner les moyens de ne pas voir un autre dicter notre propre agenda politique. C’est s’inciter collectivement à s’élever intellectuellement. En écrivant cela, je ne peux m’empêcher de penser que tirer la majorité du camp national hors des leviers émotionnels dont relève l’essentialisation politique n’est pas l’intérêt de tous les groupes politiques se trouvant dans le « camp national ». Faisons le choix désormais de la rigueur, de l’effort en politique afin de surpasser le camp d’en face, d’être une avant-garde éclairée pour que demain la nation n’ait pas à craindre pour son intégrité et sa souveraineté.