Le Georgisme et la LVT


Comment concilier liberté individuelle et gestion de la terre ? Comment réduire les inégalités tout en finançant un État minimal ? Des questions que s’est posé Henry George il y a maintenant presque 150 ans et auxquelles il a livré une proposition politique comme solution potentielle.
Henry George (1839 – 1897) né à Philadelphie dans une famille modeste. Il quitte l’école tôt et enchaîne par la suite différents petits boulots. En 1860, il s’installe en Californie et devient journaliste, traitant notamment de sujets politiques, économiques et des inégalités. C’est à cette période qu’il fait un constat qui l’amènera par la suite à la proposition politique qui le rendra célèbre. Il remarque qu’alors que San Francisco se développe vite, les richesses se concentrent des las mains des propriétaires terriens, tandis que les travailleurs peinent à joindre les deux bouts, victimes de loyers de plus en plus chers.
C’est presque 20 ans plus tard que paraît son ouvrage majeur (1879) : Cause des crises industrielles et de l’accroissement de la misère au milieu de l’accroissement de la richesse, LE REMÈDE fréquemment abrégé par son entête Progrès et Pauvreté. Best-seller international, il influence des politiciens, des économistes et des penseurs libéraux.
Par la suite et face à l’engouement autour de sa pensée, Henry George crée un mouvement politique et se présente à l’élection municipale de New York en 1886, soutenu par des ouvriers et des intellectuels. Il est battu de peu par un certain Théodore Roosevelt.
Attardons nous maintenant sur le propos de son livre. Le sujet est une réflexion autour de l’utilisation de la terre et une réforme de la fiscalité : il souhaite taxer le foncier plutôt que le travail.
Selon lui, la terre est une ressource naturelle que personne n’a créé et par conséquent, elle appartient à tous en commun. Il dénonce l’enrichissement des propriétaires terriens grâce à la simple montée en valeur des terrain possédés. Non par le développement ou la mise en valeur de ceux-ci, mais simplement par simple effet boule de neige, dû au développement de la ville et la raréfaction des terrains. C’est de la rente foncière. La conséquence principale qui en découle est la spéculation foncière des terrains restant inoccupés ou sous exploités, les propriétaires attendant qu’ils prennent de la valeur au lieu de les mettre à profit. Ils s’enrichissent donc sans rien faire, tandis que les entrepreneurs et travailleurs doivent payer des loyers toujours plus élevés. En parallèle, il dénonce l’inefficacité des impôts et taxes traditionnels, comme la TVA, les impôts de production ou l’impôt sur le revenu, qu’il juge contre-productif, puisqu’ils pénalisent l’activité économique, le travail et l’investissement.
Il propose donc un modèle d’impôt unique, basé uniquement sur la valeur de la terre : la Land Value Tax (LVT), ou Taxe sur la Valeur de la Terre. La LVT est donc une taxe sur la valeur brute du sol et non pas sur les améliorations ou mises en valeur du terrain. Cette valeur brute est définie par son emplacement, par la demande et par la présence ou non de ressources naturelles (forêts, gisements de minerais ou d’hydrocarbures, etc). Ce dispositif permettrait donc de capter la rente foncière pour abreuver les comptes publics. Cet argent permettrait de financer les dépenses liées au régalien (justice, défense, diplomatie, sécurité) ou les infrastructures publiques. Après utilisation du montant récolté par la taxe, s’il reste un excédant, il peut être redistribué sous forme de dividende citoyen. Pour le libéral Milton Friedman, c’est « l’impôt le moins mauvais ». Quant à Adam Smith, l’un des pères du libéralisme, qui a vécu avant Henry George, il considérait qu’il n’y a « rien de plus raisonnable » comme taxe, que celle sur la valeur foncière.
Un point reste encore en suspens, celui de la méthode de calcul de cette taxe. Il existe trois possibilités pour évaluer le montant de la LVT d’un terrain :
Comparer les ventes réalisées récemment dans le même secteur pour estimer le coût du terrain
Déduire la valeur du terrain en fonction du loyer qu’il génère ou pourrait hypothétiquement générer
Comparer des terrains similaires avec et sans amélioration, pour déduire la valeur brute du terrains
Listons quelques avantages et inconvénients d’un système de LVT.
Avantages :
L’activité économique n’est pas pénalisée
La taxe étant fixe, le propriétaire est encouragé à valoriser son terrain pour dégager des revenus qui ne seront pas taxés plus
Pas de spéculation foncière
Beaucoup moins fraudable car non déclarative
Pourrait réduire l’étalement urbain (en zone tendue, une plus petite surface pour une même utilisation coûterait moins cher et cela inciterait à construire en hauteur car la LVT ne concerne que la surface au sol).
Inconvénients :
Peut être perçue comme une entrave à la propriété privée totale (car il faut s’acquitter d’une taxe pour pouvoir utiliser son bien)
En fonction du mode de calcul de la valeur du foncier et de la taxe, son montant pourrait être soumis à de la manipulation bureaucratique (cadre législatif à prévoir pour prévenir au maximum cette problématique)
On peut citer quelques exemples de pays ou états qui utilisent une forme de LVT. C’est le cas notamment de la Pennsylvanie aux États-Unis, ainsi que dans la quasi-totalité des états d’Australie (où la résidence principale est exonérée), de Singapour, de Taïwan ou du Danemark. On peut s’attarder également sur le cas de Hong-Kong où l’État possède la majorité des terrains et utilise un modèle de LVT avec des baux fonciers à long terme. Grâce à cette politique, l’État de Hong-Kong aurait pu financer une grande partie de ses dépenses d’infrastructures publiques, tout en gardant une fiscalité faible sur le travail et l’activité économique en général.
Compte tenu du contexte français, on est en droit de se demander si le principe de LVT pourrait être appliqué dans notre pays afin de contribuer à résoudre quelques problèmes sociaux et économiques auxquels le pays fait face. Car malgré l’une des pressions fiscales les plus élevées du monde et un volume de dépense publique titanesque, la France s’enfonce dans la dette. Son économie s’apprête à entrer en récession, les services publics s’effondrent, une part croissante de personnes dépendent en partie ou entièrement de l’État pour vivre et les jeunes génération se voient coincées entre des salaires trop faibles et un parc immobilier, détenu en partie significative par des retraités, avec des prix qui ne cessent d’augmenter. Nous sommes donc dans la situation où les actifs financent une grande part du modèle social français et son système de retraite déficitaire, tout en ne pouvant pas devenir propriétaire d’un bien immobilier sans s’endetter sur 25 ou 30 ans, ou bien d’acheter un taudis à plusieurs dizaines de kilomètres de son lieu de travail.
Ce constat posé, on identifie clairement deux problématiques à résoudre. La première étant la relance de la croissance économique, la seconde est l’accès à la propriété pour les actifs. C’est ici qu’intervient la LVT comme une piste de solution tout à fait sérieuse. En effet, en admettant une importante suppression de taxes et impôts remplacés par la LVT, une baisse drastique des dépenses publiques, ainsi qu’une dérégulation du marché locatif, nous pourrions entrevoir un mode d’organisation plus sain à tous les niveaux. Dans un premier temps, l’activité économique serait libérée de l’énorme poids fiscal qui pèse sur ses épaules et la ralentit. En parallèle, les revenus de la LVT permettraient d’assurer les dépenses nécessaires (et mieux gérées) de l’État, notamment sur les secteurs régaliens. Le dividende citoyen permettrait également de palier à la suppression ou à la diminution d’une partie de la protection sociale pour ne pas laisser brutalement les plus démunis sur le carreau. Ensuite, la taxe sur la valeur de la terre permettrait d’inciter la mise en location ou la vente de biens inexploités en zone tendue, amenant une baisse des prix grâce à l’augmentation de l’offre. Avec une dérégulation des normes locatives et une suppression de l’encadrement des prix des loyers, on observerait à nouveau une augmentation significative d’offres de location, tirant les prix à la baisse. J’en veux pour exemple la crise du logement qu’a connu Buenos Aires ces dernières années. En effet, à son arrivée au pouvoir fin 2023, Javier Milei dérégule totalement le marché locatif pour résoudre la pénurie de logement que connaît la capitale argentine. Après seulement un semestre, l’offre locative avait bondi de +50 % et les prix moyens des loyers (redressés de l’inflation) ont diminués de 20 %.
Dans un contexte de ras-le-bol fiscal croissant, de crise du logement et de ralentissement économique, il ne paraît pas si illusoire de penser que le sujet de la LVT pourrait gagner en exposition et en popularité dans le débat public dans un futur très proche.