Le Pancapitalisme, le retour du social dans le national
Prime d’intéressement, prime de participation, plan d’épargne entreprise : si, comme 9,5 millions de salariés, vous êtes concernés par la participation en entreprise, alors ces dénominations vous sont familières. Pour ceux pour qui cela reste un mystère, ces termes désignent tous une forme de redistribution des bénéfices des entreprises à leurs salariés, soit sous forme de prime, soit sous forme d’épargne et d’actionnariat salarial. Mais savez-vous que tout ceci n’est qu’une forme lointaine et atténuée d’un projet économique bien plus ambitieux, cherchant à redistribuer équitablement les moyens de production sans porter atteinte au principe de propriété privée ? Ce projet fut connu sous le nom de « Participation », fer de lance de la doctrine économique du gaullisme dans les années 1960, mais la théorie économique à la base de ce projet d’envergure se nommait « Pancapitalisme » et c’est de cela dont nous allons parler en détail dans cet article.
Mais avant de rentrer dans le cœur de cette doctrine économique, un peu d’histoire. En France, le principe d’alliance entre le capital et le travail, d’actionnariat salarial ou de participation aux bénéfices de l’entreprise ne date pas du gaullisme. On en retrouve des traces dès le XIXème siècle, notamment chez les catholiques sociaux et les figures d’Albert de Mun, de René de La Tour du Pin, et même chez certains libéraux comme Tocqueville ou encore chez des socialistes comme Jaurès.
Mais les traces les plus concrètes et les plus formelles se trouvent dans le syndicalisme jaune, notamment au sein de la Fédération nationale des jaunes de France (FNJF) et de leur programme économique nommé le « propriétisme ». La FNJF, active de 1902 à 1912, entretint d’étroites relations avec les milieux nationalistes, dont l’Action française, ainsi qu’avec Édouard Drumont et son journal La Libre Parole. Ce syndicat jaune considérait que la corporation était le meilleur modèle de défense sociale pour les travailleurs. Ils prônaient donc le « propriétisme », une forme d’association « capital-travail » où les travailleurs devenaient propriétaires de leurs moyens de production via l’acquisition d’actions de leur entreprise. On y voit déjà la colonne vertébrale de l’idée pancapitaliste. Ils défendaient aussi le système des « chambres de capacité », sortes d’assemblées locales où les représentants du monde professionnel pouvaient discuter des affaires socio-économiques du pays et servir de contre-pouvoir à l’Assemblée nationale.
Malgré la disparition de ce syndicalisme jaune et, avec lui, la disparition de la doctrine « propriétiste », l’association entre le capital et le travail comme base d’une doctrine économique continua de faire son chemin. Et c’est au sein des cadres des Croix-de-Feu puis du Parti social français (PSF) que survit cette idée de participation des masses prolétaires aux bénéfices des entreprises. Vu comme une forme de « proto-gaullisme » par certains historiens, et dont certains membres s’inspirent du catholicisme social, il n’est donc pas anormal de retrouver cette idée parmi les revendications de certains cadres de ce mouvement.
Maintenant, faisons un saut dans le temps jusqu’aux Trente Glorieuses. Un certain Marcel Loichot, polytechnicien, fils d’instituteur, pied-noir, PDG de la première entreprise française de conseil économique et gaulliste social, a, durant cette décennie, réfléchi à un modèle socio-économique novateur pour offrir une troisième voie qui protégerait les travailleurs de l’aliénation capitaliste libérale, tout en protégeant les entreprises et les entrepreneurs de la collectivisation soviétique castratrice pour l’innovation et le progrès technique et économique.
En 1966 sortit son livre La réforme pancapitaliste, dans lequel il écrit ceci : « En un mot, le Pancapitalisme propose que le travailleur le plus humble bénéficie non plus théoriquement, mais effectivement, de la fonction économique et sociale de l'investissement. C'est-à-dire qu'il reçoive sa part dans la création des richesses futures ou, si l'on veut, des moyens supplémentaires de production qu'il contribue à créer par son travail. Et cette manière d'obtenir la désaliénation conserve intégralement la notion de propriété, tant pour le salarié que pour le possédant antérieur. »
Voilà comment Marcel Loichot résuma le principe pancapitaliste. Il élargit le principe de propriété généralisée à la France industrialisée des Trente Glorieuses. Il effectua sans le savoir une actualisation du principe proudhonien de petite propriété pour tous, élargie aux entreprises de plus de 10 salariés, la taille des usines et entreprises ne permettant plus à un petit nombre restreint de posséder intégralement leurs outils de travail. Sans spolier les investisseurs antérieurs, le Pancapitalisme propose d'élargir la propriété de l'entreprise à tous les travailleurs via la possession d'actions. De cette manière, chacun devient partiellement propriétaire de son outil de production.
Dans le Pancapitalisme, la moitié des bénéfices serait utilisée pour autofinancer les innovations de l'entreprise et dépendre au minimum d'investissements étatiques, privés ou étrangers. La seconde moitié des bénéfices serait partagée à 50%/50% entre la génération d'actions pour les actionnaires antérieurs et la génération d'actions pour les travailleurs. Celles-ci seraient distribuées proportionnellement au salaire et à la place dans l'entreprise de chacun. De cette manière, aucune spoliation ne prendrait place. Durant les Trente Glorieuses, la croissance économique annuelle moyenne d’une entreprise était de 6 %. Avec ce taux, il n’aurait fallu que 25 ans aux travailleurs pour devenir actionnaires majoritaires. De nos jours, les TPE-PME, composant la majorité de notre tissu économique, ont eu un taux de croissance annuel d’environ 4,5% en 2022. Il faudrait alors entre une trentaine et une quarantaine d’années pour que les travailleurs deviennent actionnaires majoritaires.
En plus des dividendes générés par ces actions, la possession de ces dernières ouvrirait l'accès au conseil d'administration (CA) et donc à la participation aux prises de décisions de l'entreprise pour les travailleurs. La participation salariale serait totale, tant économique que politique, au sein de l'entreprise. On vivrait alors une réelle émancipation des travailleurs et une réelle décentralisation et organicité de l'appareil économique des grandes entreprises.
Les idées de Marcel Loichot ont pu, et peuvent toujours, sembler candides. Elles n'ont d'ailleurs ni survécu à l'ordonnance de 1967, ni au référendum de 1969, référendum dans lequel le général de Gaulle souhaitait implanter politiquement la participation. La faute tant à la bourgeoisie, qui n'a pas vu d’un bon œil que les classes moyennes et populaires puissent s'asseoir à la même table qu'elle dans le champ économique, qu’à la gauche vivant de la rente de la lutte des classes, le pancapitalisme étant vu par ses promoteurs et ses détracteurs comme un outil efficace pour supplanter la lutte des classes, faisant travailler main dans la main patronat et prolétariat dans un seul et même but avec les mêmes outils.
Plus proche de nous, Claude Mineraud, ancien PDG d’entreprise du CAC 40, a lui aussi développé sa vision de la participation et du pancapitalisme à travers son ouvrage Le capitalisme populaire. Sa volonté est claire : contrer le néo-libéralisme. Fort de son expérience de terrain, il a écrit ce petit guide à destination des (futurs) chefs d’entreprises nationalistes.
Lui aussi se base sur trois axes pour développer son modèle économique :
Actionnariat salarial : 20% des actions sont destinées aux cadres fondateurs de l’entreprise, 55,1% aux travailleurs, et 24,9% des actions sont réservées aux actionnaires extérieurs.
Participation au conseil d’administration de l’entreprise : 40% des voix sont détenues par les cadres fondateurs, 35,1% par les travailleurs, et 24,9% par les actionnaires extérieurs.
Grille salariale limitée : le chef d’entreprise ne peut gagner plus de huit fois le salaire de l’employé le plus bas dans la hiérarchie.
Ce livre est un parfait guide technique et juridique pour les entrepreneurs ou patrons voulant se lancer dans une aventure pancapitaliste. Une large partie de l'ouvrage est très technique et juridique. Claude Mineraud a réussi à s'accommoder des législations en vigueur pour adapter à sa manière les principes théorisés par Marcel Loichot 60 ans plus tôt. Véritable guide politique et économique pour toute personne cherchant à actualiser la pensée économique nationaliste et populaire au sein de son appareil économique.
Ces expériences, intellectuelles pour Marcel Loichot et pratiques pour Claude Mineraud, sont les preuves qu’une forme de « troisième voie française », adaptée à notre époque, à notre système économique et à notre système juridique, est possible. Dans une France qui cherche à s’émanciper du carcan néo-libéral, où les Gilets Jaunes nous ont rappelé que le peuple français existe et aspire à plus de liberté, mais également plus de justice, à chaque crise sociale, les Français cherchent à reformer des corps sociaux jugés illégitimes et non représentatifs de leurs aspirations. Le Pancapitalisme est un outil crucial pour que nous, nationalistes français, repensions la question sociale et économique au sein de nos organisations et surtout, au sein de notre pays.